jeudi 24 janvier 2013

dans le salon…d'adrien albert

 J'avais prévu ici de lancer une nouvelle série : "dans le salon de… " ou "dans la cuisine de…". Mais Adrien Albert n'habite pas vraiment chez lui en ce moment. Sans entrer dans les détails de ce qui appartient à sa vie privée, les meubles et les affaires de ce joli petit appartement parisien ne sont pas les siens. Laissons tomber la nouvelle rubrique. Ce n'est pas le plus important. Lundi matin, alorsq ue la neige tombait encore sur paris, j'ai dégusté une délicieuse tisane au citron en provenance directe de ses chez ses beaux-parents pendant qu'il me parlait de son travail. J'ai découvert un jeune homme sympa comme tout, modeste, passionnant et à la curiosité et l'ouverture d'esprit immenses. Il m'a parlé pendant une heure et demie de ce qu'il appelle "sa cuisine", sa "bouillie". En fait de bouillie, je dirais qu'on touche plutôt à la gastronomie…Il m'a montré des originaux de ses dessins qui sont de toute beauté. 





 On est surpris au début de cet album pour tout-petits, qu'il soit question d'un métier et du fait de gagner sa vie…
Cet album est une adaptation d'un roman de Robert Walser, Les enfants Tanner. L'exercice de l'adaptation me tentait bien et j'avais envie de me mettre au travail tout de suite, de ne pas attendre la bonne idée. Je suis tombé sur un passage de ce roman, dont l'histoire se passe au début du 20e siècle, en Suisse. Il raconte le début de la vie d'homme d'un garçon qui veut vivre sa vie, mais est un peu fragile et "border-line". Je me suis intéressé à un passage en particulier où, dans un élan poétique, il décide d'aller rendre visite à son frère et voyage toute la nuit. Je me suis nourri de ce personnage pour écrire Simon sur les rails. Comme lui, j'avais 18 ans quand j'ai commencé à faire des petits boulots. J'ai d'abord travaillé dans la métallurgie et j'ai un souvenir joyeux de ces moments là. Comme Simon qui a l'air content d'avoir un premier boulot. 

Pourquoi l'avoir situé dans une usine?
Visuellement c'était plus intéressant. J'ai ensuite cherché ce qui pouvait se fabriquer dans cette usine. J'ai d'abord pensé à une usine de cagettes car j'adore les cagettes, puis à une ébénisterie où Simon sculpterait avec ses dents. Finalement il travaille dans une usine de marteau car je trouvais ça drôle. Et puis, personne ne sait trop comment se fabrique un marteau !

Donc Simon a un travail et avec sa première paie, il veut s'acheter un billet de train pour aller voir son frère qui vit derrière la montagne…
Simon est heureux de travailler, il entre dans une vie organisée. En même temps, il a cet élan de liberté. J'aime bien ce que cela dit : tout est question de volonté, d'audace. On peut toujours bousculer les choses. 

Visuellement votre album dégage quelque chose d'un peu désuet…
Le roman se passe au début du 20e siècle, et naturellement j'ai plongé mon histoire dans un truc un peu suranné. Je voulais jouer le jeu de l'adaptation et respecter les règles de l'exercice. Je ne me pose pas la question du style. Quand je fais un dessin, je dessine comme je raconterai l'histoire à l'oral. Mon souci est celui de la justesse et du ton pour que l'enfant comprenne. Je dessine avec la volonté que l'histoire soit lisible et compréhensible dans le dessin. Par exemple, lorsque je dessine l'usine, je fais en sorte qu'on comprenne comment elle fonctionne : je mets des écrous là où il y en a besoin, j'entrouvre la porte du fond pour montrer ce qu'il y a derrière… Je pourrais faire des dessins plus précis, vouloir impressionner par ma technique mais je ne suis pas là pour épater la galerie. L'illustration raconte une histoire.

Vos dessins sont très construits, avec des lignes verticales, horizontales. C'est un dessin très simple, épuré…
J'ai travaillé sur du papier millimétré et j'ai adoré. On voit tout de suite la composition.Très vite, on sent la ligne de sol. Pour moi, travailler sur un album est prétexte à me documenter, à aller voir autre chose. Ce n'est pas indispensable, mais intellectuellement, j'ai besoin que ça tourne! Je vais donc en bibliothèque, je fouille. J'ai vu La France, de Raymond Depardon. Je pense que j'ai été marqué par le cadrage, les jeux de façades. Je me suis intéressé aussi au travail de Timothy O'Sullivan, le premier photographe à suivre les cartographes partis dans l'Ouest américain. Cela m'a inspiré pour mes montagnes. Faire des croquis à partir de photos donne un résultat plus incarné. La gare vient d'un bouquin d'architecture des années 1970. Je suis tombé sur la photo d'un vieux théâtre, à Montpellier je crois, et je m'en suis servi pour ma gare. J'ai aussi trouvé un livre avec de vieux trains de montagne et pour mon train, j'ai fait un mélange : les vitres d'un modèle, l'arrière d'un autre… Je trouve cela plus intéressant que de partir du vide et d'imaginer. Mais encore une fois, je le fais par plaisir, pas par nécessité.

Pourquoi avoir placé une vieille dame, dans la gare, à la fin du livre?
Pour accentuer la notion de vitesse. Le fait que Simon double quelqu'un, que sur une image il soit avant elle, et sur la suivante, il l'ait dépassée, ajoute de la vitesse. Je trouvais amusant qu'il y ait un témoin de la scène, et encore plus que ce soit une mamie. A l'époque, je logeais chez un copain qui avait tous les Tintin. Le soir, je les reprenais en me focalisant sur les images. Un ami m'a fait remarquer que cette mamie ressemblait à Tintin. Et c'est vrai, on dirait Tintin quand il se déguise! 




Vous écrivez l'histoire en même temps que vous dessinez. Avant ? Après?
D'abord j'ai l'histoire. Ensuite, je la construis avec l'image et le texte en passant par un story-board. Mais pour cet album là, j'ai beaucoup écrit avant. D'habitude, j'ai tendance à vite vouloir dessiner. Pour Simon sur les rails, celaa a été différent. J'étais à l'étranger et je n'avais pas beaucoup de matériel. Mais surtout, j'ai eu envie de revenir à l'écriture. Avant de faire les Beaux-Arts, j'écrivais beaucoup, puis quand j'ai commencé à dessiner j'ai arrêté, comme si le dessin avait remplacé l'écriture. Là, j'ai rempli des pages et des pages et je pense que cela a nourri le livre. Ensuite, j'ai beaucoup resserré. J'aime aller à l'essentiel. Plus tu peux resserrer mieux c'est. Je pense beaucoup au montage de mes séquences. Je ne veux pas que ça traîne. J'aime le côté court-métrage. Mon éditeur à L'Ecole des Loisirs m'a appris que le dessin de la page de droite devait donner envie de tourner la page, être une sortie. J'ai toujours gardé cette idée en tête. 

Le héros de votre premier album, Seigneur lapin, était déjà un lapin. Vous avez une affection particulière pour cet animal?
J'avais chopé ce lapin dans une enluminure du Moyen-Âge et je l'avais utilisé pour un dessin de presse. J'avais envie de le reprendre et c'est pourquoi je l'ai choisi comme héros de mon premier livre. Pour Simon sur les rails, j'avais plusieurs impératifs. Mon personnage ne devait pas être grand car il s'agissait pour moi de le confronter à des paysages. Il fallait qu'il soit blanc pour être repérable. Je le voulais en bas de la chaîne alimentaire afin qu'il soit susceptible d'être une proie, donc d'être en danger. Je souhaitais qu'il soit mignon, qu'il ait un côté fragile et qu'il coure. Il ne me restait que le lapin. Je trouvais intéressant aussi que ce soit un animal à la fois sauvage et domestique. 

Mais pourquoi un animal?
Au début, j'avais imaginé des personnages anthropomorphes. Mais c'était plat, ça ne fonctionnait pas. J'ai trouvé plus fort de placer un lapin dans un univers humain. Cela le rendait plus singulier, plus fragile. Cela donne l'impression d'un monde parallèle au notre, où les lapins seraient intégrés à la société.  

Pourquoi Simon s'appelle t-il Simon?
C'est le prénom du personnage dans le roman de Robert Walser. Je l'ai gardé. C'est un prénom sympa. 

Comment avez-vous choisi le titre?
Je voulais l'appeler Simon, mais cela ne plaisait pas trop à mon éditeur. Je ne trouvais rien d'autre et j'ai demandé à mon entourage. C'est mon père qui m'a proposé ce titre et j'en suis heureux. J'aime le double sens : au sens propre s'ajoute le fait d'être sur les rails, dans la vie active. Avec l'idée qu'il est toujours possible d'aller à côté des rails…



3 commentaires:

  1. C'est exactement ce que j'aime ici.
    lectures intelligentes, pertinentes.
    rencontres stimulantes, interressantes.
    merci.
    bises,
    alexandra

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  2. Oui je déguste vos articles et cette rencontre comme un délicieux gâteau!
    J'aime, j'adore savoir comment travaillent, pensent cheminent mes confrères et encore plus ceux que je ne connais pas! MERCI!!!

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  3. merci alexandra et anaïs pour vos encouragements et votre enthousiasme.

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vos petits messages…