mercredi 15 décembre 2010

à la rencontre de martin page

 

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Il y a un un peu plus d'un an, le 9 novembre 2009, je démarrais l'aventure de ce blog avec Traité sur les miroirs pour faire apparaître les dragons, un roman magnifique (lire ICI).
Décembre 2010, Martin Page vient de publier une suite à l'histoire de Martin, Erwan, Bakary…:  Le club des inadaptés. Un texte qui m'a moins enthousiasmée que le premier mais qui reste d'une grande qualité et dans lequel on retrouve cette sensibilité et cette écriture qui m'avait tant séduite dans le Traité sur les miroirs…. Bref, tout cela pour introduire l'interview de Martin Page que j'ai rencontré hier matin, dans un café du 11e arrondissement parisien.
Je remercie Martin Page pour la sincérité de ses propos, sa manière d'aller d'emblée à l'essentiel (au sens propre du terme), de parler de choses vraies. Des sentiments, de la souffrance, de la douleur de se sentir différent et de sa conviction qu'on peut s'en sortir, être heureux. Et j'ai admiré aussi sa maîtrise de la langue, le choix de ses mots, toujours précis et si bien "adaptés". Il parle presque comme il écrit. C'est dire…

*Le héros du Traité sur les miroirs pour faire apparaître les dragons se prénomme Martin. C'est vous?
Très clairement. C'est un livre sentimentalement autobiographique, mais pas factuellement. De temps en temps, je repensais à mon enfance, à mon adolescence. J'étais solitaire, j'avais peu d'amis et ceux que j'avais étaient bizarres, j'étais mauvais à l'école : je n'étais pas très adapté. J'ai repensé à cette terreur que j'éprouvais face à l'avenir. Ce roman est né de la volonté d'adresser un signe rassurant à l'enfant que j'étais. C'est dommage que cela ne soit pas possible, que je ne puisse pas lui dire que ça ira mieux plus tard. J'espère donc que je vais rassurer d'autres enfants, leur dire qu'ils ne sont pas tout seuls et qu'on peut s'en sortir, rire. Et être à peu près heureux.

*Est-ce un roman que vous portiez en vous depuis longtemps? Pourquoi est-il arrivé à ce moment précis de votre vie ?
Il est né à une époque où je vais mieux, où je suis plus stable, plus posé. Cela me permet de regarder le passé avec plus de douceur et de tendresse. Je suis plus armé pour rassurer les autres, sans pour autant éluder les difficultés.

J'ai écrit ce livre après la mort de mon père, il y a deux ans. Dans le livre, j'ai inversé les choses : c'est la maman de Martin qui est morte.
*Pourquoi cette inversion?
Pour ne pas avoir l'impression de trop me livrer, pour ne pas transposer. Et cela me permettait de parler de la relation d'un père avec son fils, alors que le mien est mort. C'est parce qu'il est mort qu'il est devenu un personnage de fiction, que je peux le faire revivre sur le papier.
*Ce papa est un très beau personnage…
Merci… Il est à côté de la plaque mais il essaie de faire faire des choses à son fils, même maladroitement. Cela m'intéressait de montrer le désarroi d'un père et la maturité d'un enfant. C'est courant et c'est ce que j'ai vécu.
*Vous dîtes que vous étiez un mauvais élève…
J'ai plutôt bon élève jusqu'en 4eme. Après cela a commencé à être la catastrophe. J'ai eu des migraines, des insomnies. Mon père allait très mal. Et puis, j'ai été traumatisé par le fait qu'un de mes amis qui était en 5e devienne la tête de turc de la classe car il était petit, malingre. Je me suis rendu compte de la violence des enfants entre eux et de la violence du système. J'adore faire des interventions dans les écoles primaires, j'adore l'enthousiasme des enfants, mais un truc se casse au collège. C'est le moment où on les fait entrer dans le moule, où on leur fait peur avec le chômage, l'orientation… C'est un moment extrêmement violent. Je pense que c'est pour ça que j'ai décroché. Devenir un mauvais élève a été une manière de fuir un monde dont les règles me paraissaient terribles. Ce n'était pas conscient, bien sûr.
*Et au lycée?
J'ai rencontré d'autres amis et on se soutenait. On était tous à la marge, étranges. Il y avait un fan de Cure, un féru d'informatique, un musicien… On avait tous des problèmes de relation au groupe. Mais j'ai fini par avoir le bac avec mention. Bizarre. À la fac, j'ai fait plusieurs premières années et à chaque fois des doubles cursus : philo, droit, sociologie, anthropologie, psychologie, linguistique, histoire de l'art… J'allais à des cours qui n'étaient pas les miens et même dans d'autres facs que la mienne. C'était enrichissant intellectuellement mais c'était un vrai suicide universitaire. Je n'arrivais pas à être monogame intellectuellement, à me concentrer sur une seule discipline. Je n'avais pas cette capacité à me dompter moi-même pour rester dans une filière. C'était une sorte d'allergie à la structure. Je créais mon propre cursus. C'était très intéressant, mais cela ne donne aucun diplôme…
*Et l'écriture…? Quand avez-vous commencé à écrire?
Adolescent, j'écrivais des poèmes, des textes courts. J'ai écrit mon premier roman vers 18-19 ans. Il était impubliable. Il a été refusé comme les six suivants. Mais je persévèrais. Je n'attendais même pas les lettres de refus pour commencer à en écrire un autre. J'étais dans une mentalité de guerre. Je passais mon temps à écrire. Ces romans ont constitué un entraînement, ils m'ont permis de tester ma vocation. Et puis, un jour, un manuscrit a été accepté par un éditeur. J'avais 25 ans quand mon premier roman a été publié.
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*Et comment êtes-vous venu à la "littérature jeunesse"?
J'ai toujours été fou de Roald Dahl. J'aime tous ses livres, ceux pour enfants (Matilda, La potion magique de Georges Bouillon, Le bon gros géant…) comme ceux pour adultes. J'aime les livres de Lewis Carroll. Certains textes de Poe ou d'Oscar Wilde sont parus dans des éditions jeunesse. Un jour, j'ai rencontré Jérôme Lambert qui m'a dit écrire des livres pour la jeunesse et j'ai trouvé ça génial. Ce qui m'a lancé c'est une commande de Je bouquine. J'ai écrit une nouvelle, la leur ai rendue. La chance de ma vie, c'est qu'ils l'ont refusée. Ce refus était justifié par des raisons morales : mon texte donnait une mauvaise image des représentants de l'autorité sur les enfants (les parents, l'école…). C'est vrai que ça démarrait avec une histoire dure : une gamine qui vivait dans un manoir avec un fantôme sortait avec une arme et tirait en l'air… Mais il y avait de l'humour aussi et à mes yeux ce n'était pas un livre choquant. Je l'ai retravaillé et j'en ai présenté une nouvelle version à Geneviève Brisac, éditrice à L'École des Loisirs. Elle l'a accepté. Cela m'a donné confiance. Le fait d'avoir une interlocutrice exigeante, ouverte m'a encouragé. Aujourd'hui, je n'imagine pas ne plus écrire pour les enfants et les adolescents. Cela me permet de m'adresser à l'enfant que j'étais…
*Il est toujours question d'enfants différents, à part…
Assez souvent oui. Le plus à part étant le héros de Je suis un tremblement de terre …qui est un tremblement de terre! Dans Conversation avec un gâteau au chocolat, les parents de ce petit garçon ne sont pas là. Dans mes livres, les enfants sont touchés par la tragédie, mais ils réagissent à cette tragédie. Dans la littérature jeunesse, la fantaisie, l'imagination trouvent facilement leur place. C'est plus compliqué (pour une histoire de codes) d'en mettre dans la littérature pour adulte. Mais les idées que je développe dans les livres pour enfants me plaisent en tant qu'adulte. Je n'essaie jamais de me mettre à la place d'un enfant lorsque j'écris. Je n'ai même pas l'impression de faire un effort sur le vocabulaire. C'est peut-être une question de ton…Peut-être qu'inconsciemment, malgré moi, le ton n'est pas le même.
*Et dans le fond, le choix des sujets, y a t-il une différence?
Lorsque j'écris pour les enfants, je fais attention à ce qu'il y ait toujours une porte de sortie, quelque chose de lumineux. Il y a de l'humour et je propose des clés, des chemins, des ruses… C'est aussi mon histoire : trouver des passages secrets pour échapper à la tragédie.
*Vous écrivez aussi des albums pour les plus petits…
J'adore travailler avec des illustrateurs… je trouve ça génial!. L'envie vient d'une rencontre avec un illustrateur dont j'aime le travail.J'ai rencontré Sandrine Bonini à un salon et je lui ai proposé que l'on travaille ensemble. La bataille contre mon lit sortira en janvier. J'avais en tête cette histoire d'un enfant qui n'arrive pas à se lever le matin et qui se bat contre son lit qui est tellement doux, gentil et agréable… J'ai envie de travailler de nouveau avec elle et je lui propose plein d'idées.
*Les idées, vous n'en manquez jamais?
Non. Je ne comprends pas les écrivains qui parlent d'angoisse de la page blanche. Après, pour écrire, il faut du travail, de l'imagination, de la concentration. Mais quand j'ai l'idée, c'est vertigineux. Une idée qui va donner un livre…Je me mets à travailler et ça marche. Les idées accouchent d'autres idées…Se mettre au travail est parfois difficile. C'est une sorte d'arrachement à soi-même, on est comme en état d'hypnose.
*Enfant, quel lecteur étiez-vous? Quels romans vous ont marqué?
J'étais un gros lecteur. Le premier livre qui m'a vraiment marqué, c'est Mon bel oranger, de José Mauro de Vasconcelos. L'histoire se passe dans un quartier pauvre, au Brésil. Il n'y a pas de complaisance dans la douleur et la tragédie. C'est un roman qui n'évite pas d'entrer dans la tragédie mais qui ne s'y arrête pas. Beaucoup plus tard, Le Baron perché, d'Italo Calvino m'a fasciné.
*Aujourd'hui, lisez-vous beaucoup de littérature jeunesse?
Je n'ai pas assez de temps. Je lis seulement les romans de mes copains : Valérie Zenatti, Alice de Poncheville, Nathalie Kuperman, Sophie Chérer… Je ne le connais pas mais j'aime beaucoup aussi les livres Bernard Friot. Sur les salons, j'achète des albums pour les offrir aux enfants de mes amis. La vie sentimentale de la plupart d'entre eux ressemble à un champ de bataille, mais certains ont réussi à faire des enfants! J'aime les livres de Claude Ponti, Janik Coat, Kitty Crowther, Anaïs Vaugelade
*Et lorsque vous n'écrivez pas, à quoi ressemble votre vie?
Je me déplace régulièrement sur des salons, en province, à l'étranger. À Paris, je vois des amis, je vais au cinéma, je me balade, le lis. Je ne suis pas aventurier. J'ai eu une jeunesse pas du tout calme et aujourd'hui, j'ai besoin d'une vie tranquille et douce.J'écris aussi beaucoup aux auteurs dont j'ai aimé les livres. Ce n'est pas toujours simple pour moi d'aller vers les gens, et les lettres, les mails sont très adaptés à ma phobie sociale. J'essaie de créer des liens avec les gens, de trouver des alliés (j'emploie un vocabulaire guerrier…) et parfois faire des livres ensemble.
*En ce moment, vous lisez quoi?
Je lis toujours 20 bouquins en même temps. Je suis boulimique de plein de choses! Par exemple, je lis Mes voyages avec Hérodote, de Ryszard Kapuscinski, qui fait un va-et-vient entre l'Antiquité et le présent. C'est passionnant.  Je lis aussi En souffrance, un livre sur l'adolescence écrit par un anthropologue, David Le Breton. Je lis un livre d'Aimée Berder. J'ai beaucoup aimé Nous étions des êtres vivants, de Nathale Kuperman, ou encore L'envers du monde, de Thomas B. Reverdy.
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Petite parenthèse… Je trouve que Martin Page a l'art des titres magnifiques. Son dernier livre pour adulte s'intitule La mauvaise habitude d'être soi (en collaboration avec Quentin Faucompré qui a signé les dessins). On peut citer aussi (liste non exhaustive) : On s'habitue aux fins du monde, Une parfaite journée parfaite, Peut-être une histoire d'amour (que j'ai très envie de lire : un homme reçoit un coup de fil de rupture d'une femme dont il n'a aucun souvenir. Il va tenter de reconquérir cette femme qu'il ne connaît pas…)
Pour les enfants et les adolescents, il a signé six romans, tous parus à L'École des loisirs. J'en ai lu trois (le génial Conversation avec un gâteau chocolat, Traité sur les miroirs pour faire apparaître les dragons, Le club des inadaptés). Il me reste à découvrir Le garçon de toutes les couleurs, L'invention d'un secret (collectif), Je suis un tremblement de terre.
Pour plus d'informations sur Martin Page et sa bibliographie, je vous invite à jeter un oeil ICI.
Je vous signale aussi qu'il tient régulièrement un blog. C'est ICI.

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