Quelles sont les limites de l'art? L'art contemporain est-il une fumisterie? Une provocation? "Aujourd'hui, nous sommes dans le concept, l'extravagance… il n'y a plus beaucoup de peinture. Ou alors elle est abstraite, décorative." semble regretter l'auteur. "Mais il reste des génies qui savent dessiner. Cela m'intéressait d'inventer un héros qui, il y a deux siècles, aurait été reconnu comme un prodige, aurait été vénéré. Et qui aujourd'hui, n'a plus que son père et un prof pour l'admirer… C'est un héros à contre-courant."explique Chris Donner.
Le héros en question s'appelle David. Il a 16 ans et débarque avec sa famille à Reno. Le garçon est doué pour le dessin et son père l'inscrit illico dans une école d'art. Il y rencontre deux profs qui vont porter un regard diamétralement opposé sur lui.
Les deux professeurs, incarnent chacun une conception de l'art. D'un côté, le professeur Deems ("l'apôtre de l'instinct qui professait la mort de l'histoire de l'art") de l'autre le professeur Priviletti ("le disciple du travail qui prônait la voie de l'éternelle beauté de l'art"). Le premier ne jure que par l'art contemporain. Le deuxième est fasciné par les chefs d'œuvre de la Renaissance. Chris Donner explique : "J'ai essayé de les accabler et en même temps de leur donner une chance à tous les deux." Même s'il avoue "plus de tendresse" pour le professeur classique, la victime. Ce dernier est souvent ridiculisé mais l'auteur maltraite davantage Deems qui représente "le côté dictatorial des grands théoriciens de l'art, les grands causeurs…".
Si l'art contemporain a été le déclencheur de ce récit, pour Chris Donner, l'art est le décor, la situation, pas le vrai sujet du livre. Il explore ici la famille, une famille sans conflits, sans heurts. "Je suis l'inverse. J'ai grandi dans une famille pleine de conflits, dans une grande violence. Là, je prends plaisir à raconter la possibilité d'une harmonie familiale. Le héros parvient à se construire, à apprendre des choses, à conquérir son indépendance dans la douceur. Cela ne passe pas par l'opposition ou la destruction de l'autre. Il n'y a pas de rivalité entre le père et le fils pas plus qu'entre les enfants. Il y a un contournement des violences et des conflits." Le jeune héros a "une sorte de grâce, il est gentil, trace son chemin. C'est un personnage qui résiste à toutes les violences, y compris la sienne. Et à la fin, le Deus ex-machina vient se venger. Jusqu'à présent, le héros n'avait pas connu de drames, seulement des petits évènements qu'il avait surmonté. C'est comme si les dieux en avaient marre, alors ils tuent son père. Il faut mettre du tragique quelque part."
Au sein de cette famille, on est plus particulièrement frappé par l'amour et l'intérêt que le jeune héros, David Belting, porte à ses jeunes frères et sœurs. "Il aime sa famille. Il est l'aîné, et reproduit avec ses frères et sœurs la gentillesse que son père lui témoigne. Une tendresse amplifiée par le dessin, qui est un acte d'amour. Il tente de les fixer en respectant leurs mouvements."
A l'extérieur du cocon familial de David Belting, il y a l'école, où le héros n'a aucun ami. Il y a surtout Rocio Mendes, une fille magnifique,dont il tombe amoureux au premier regard. "Rocio Mendes, c'est d'abord le retour de flammes de ce qu'il a quitté : la région du sud de la Californie, non loin du Mexique. Elle vient heurter les préjugés car elle très éloignée de l'idée que l'on se fait des Mexicaines, petites et grasses. Elle est ensuite l'objet de toutes les attentions, l'égérie des élèves, l'objet de convoitise. Elle est inaccessible et cela rend les histoires d'amour plus palpitantes. David Belting la rend irréelle. Elle dévient réelle à la fin, lorsqu'il fait vraiment sa connaissance. Elle le ramène à la réalité de ce que peut être l'art, et l'art contemporain."
Un héros qui traverse des épreuves, grandit, conquiert une indépendance… Peut-on lire "Mes débuts dans l'art" comme un roman d'apprentissage ? Chris Donner répond à l'affirmative. Mais un roman d'apprentissage particulier car sans révolte. On revient là au thème de la famille, de l'absence de conflits : "Ce livre, c'est l'apprentissage de l'amour filial. Il découvre qui est son père, il l'accepte tel qu'il est, sans passer par une étape de révolte. Cette histoire raconte comment on peut découvrir des choses sur quelqu'un sans renoncer à son amour pour cette personne. Il n'est pas toujours d'accord avec lui, mais il ne cesse jamais de l'aimer."
On s'interroge à la fin du roman sur ce héros, dessinateur de génie, qui n'a jamais voulu devenir un artiste et qui décide qui ne le sera pas. Il fait le choix de se tourner vers un autre "art" : l'écriture…: "Il choisit l'écriture pour ne pas devenir clochard. C'est un choix de raison. Il comprend aussi que savoir très bien dessiner ne fait pas de lui un grand créateur. Malgré ce don pour le dessin, il n'a jamais senti en lui cet élan de création. Le don du dessin n'amène pas forcément à l'art. Il a quelque chose à transmettre qui passera par un autre biais, l'écriture."
Un roman enthousiasmant pour bons lecteurs à partir de 13 ans.
(chronique rédigée par Audrey, à partir de la lecture du roman et d'une interview que m'a accordé l'auteur)
Mes débuts dans l'art, de Chris Donner, paru en septembre 2013 (L'Ecole des Loisirs)